Légendes de chez nous

Le noyé du lac des Piles

Des résidents du lac des Piles racontent qu’à l’été 1946 un dénommé Pierre Auger serait tombé à l’eau au cours d’une petite excursion en chaloupe, et qu’un malaise l’aurait empêché de remonter dans son embarcation. Ses appels à l’aide auraient certes alerté quelques riverains, qui vinrent à son secours, mais un épais brouillard masquait le lac. Personne ne parvint à le localiser et le malheureux se noya.

Après plusieurs plongées infructueuses, des recherches à la dynamite furent entreprises dans l’espoir de faire remonter le corps, pourtant jamais son cadavre ne fut repêché. Dans les semaines qui suivirent le drame, un phénomène étrange se manifesta. Bon nombre de plaisanciers affirmèrent en effet avoir aperçu sous la surface de l’eau le corps d’un homme qui, bras tendus, semblait les supplier. Comme ce grand lac sans fond avait déjà la réputation de ne pas rendre ses noyés, on crut à un miracle et les recherches reprirent de plus belle, sans toutefois donner de meilleurs résultats. Puis, la rumeur enfla : on murmura que c’était l’âme de Pierre Auger qui, certains jours de grisaille, remontait à la surface en implorant sa délivrance. L’histoire se perpétua au fil des ans et les riverains maintinrent tout ce temps leurs efforts pour récupérer le corps, qui demeura introuvable.

Bien des années plus tard, un plongeur découvrit, sur le plateau d’un falaise sous-marine profonde de plus de 60 mètres, un tibia, une paire de lunettes, un étui renfermant un chapelet, un fourreau de poignard et une paire de chaussures. La sœur de Pierre Auger, aujourd’hui grand-mère, identifia le chapelet comme étant celui de son défunt frère. Mais le mystère ne s’arrêta pas là : en effet, on remarqua que l’os retrouvé avait été rongé et que la semelle d’un des souliers portait de nombreuses marques de dents. On en arriva donc à la conclusion que le corps du noyé avait été dévoré par une créature habitant de toute évidence dans les profondeurs du lac.

Malgré l’inhumation de ses restes en terre sacrée, le noyé du lac des Piles continue de multiplier les apparitions sans que personne ne comprenne ce mystère.

La folle à Rouillard

Le mythe de cette femme étrange commence dans les années 1930. Juste avant la Seconde Guerre mondiale. La folle à Rouillard vivait à Shawinigan-Sud, plus précisément dans le secteur que l’on appelait Almaville-en-Bas. Cette femme était apparemment une quêteuse professionnelle depuis l’âge de dix ans.

Adulte, la pauvre pesait environ cent cinquante kilos et elle mesurait à peine un mètre trente.

Une grande collection de tétines ornaient sa figure, elle avait un pied bot, souffrait d’un important problème d’élocution qui la faisait constamment baver et, par-dessus tout, elle ne se lavait que très rarement. La plupart des gens la craignaient, car on disait qu’elle pouvait jeter des sorts.

Bien qu’elle ne se fût jamais mariée, la folle donna le jour à huit enfants. Elle n’allait jamais chez le docteur et accouchait toujours au bord du chemin, près d’une clôture. Une fois que l’enfant était né, elle le confiait au curé qui se chargeait de le placer dans une institution ou de lui trouver une famille d’accueil.

En hiver, elle logeait là où on lui offrait l’hospitalité, jusqu’au jour où monsieur Thibodeau, qui à l’époque, était maire, l’engagea comme femme à tout faire. Son épouse étant très malade, il promit à la folle de la loger gratuitement et de lui servir trois repas chauds par jour à la condition qu’elle prenne soin de sa petite fille de trois ans… ce qu’elle accepta de faire avec plaisir.

La légende raconte que l’enfant et sa gardienne devinrent rapidement les deux meilleures amies du monde. Pas surprenant, puisque la petite semblait être la seule qui fût capable de comprendre la Rouillard quand elle parlait. Ensemble, elles se promenaient partout en ville, jouaient à la poupée et allaient même voler des bonbons au magasin général. C’est alors que, curieusement, la folle cessa de mettre des enfants au monde. Sans doute avait-elle trouvé, en la personne de Gertrude Thibodeau, son enfant à elle, son cadeau du ciel. Or, un soir de printemps, la Rouillard amena la petite faire une balade près de la chute de la rivière Saint-Maurice. Cette fois, cependant, la folle rentra seule à la maison. Thibodeau devint fou de rage, s’imaginant que la folle avant lancé sa fille dans les flots.

Devant la colère de son maître, la folle à Rouillard se réfugia dans un grand coffre pour se protéger. Emporté par sa fureur et son désespoir, Thibodeau mit le coffre sur sa charrette et alla le jeter dans la rivière Saint-Maurice, à la hauteur des chutes de Shawinigan. La malle disparut dans le « trou du diable » et c’est là, à travers les eaux glacées, que l’âme de la folle monta vers le ciel sous la forme d’un oiseau blanc.

Le lendemain matin, après une nuit d’insomnie, Thibodeau retrouva finalement sa fille dans les bras de sa grand-mère! La folle avait confié l’enfant pour aller faire ses courses en ville et avait oublié de la reprendre en rentrant.

Beaucoup plus tard, sur son lit de mort, Thibodeau avoua son crime à sa fille Gertrude. Celle-ci est encore bien vivante aujourd’hui et demeure toujours à Shawinigan-Sud. Depuis la mort de son père, tous les printemps, Gertrude Thibodeau se rend aux chutes afin d’y rencontrer sa vieille amie. À quoi la reconnaît-on ? Eh bien, durant ses promenades sur les sentiers du parc, une tourterelle blanche vient toujours se poser sur son épaule.

Malgré sa maladie dégénérative et ses problèmes de motricité, chaque année, Gertrude est au rendez-vous.

Les Mestabeoks de la Mauricie

Plusieurs légendes et contes du peuple attikamek de la Haute-Mauricie parlent d’une race de géants qui aurait longtemps habité les contours du grand lac Obedjiwan, aujourd’hui le réservoir Gouin, et les rives de la rivière Saint-Maurice. S’apparentant à des humains, ces êtres immenses étaient d’excellents chasseurs, et il n’était pas rare qu’ils invitent des hommes à les accompagner dans leurs aventures. Nomades depuis la nuit de temps, les Mestaboks pouvaient, tout comme le vent, changer brusquement d’humeur et se retourner les uns contre les autres. Ils se battaient alors jusqu’à la mort, et leurs violents combats pouvaient radicalement modifier le paysage autour d’eux. C’est ainsi que naquirent plusieurs montagnes et lacs de la région que l’on appelle aujourd’hui Centre-du-Québec.

On raconte que la grande rivière Saint-Mauricie fut créée par un vénérable géant connu sous le nom de Moowis. Depuis des centaines et des centaines d’années, les Mestabeoks plus âgés avaient coutume, lorsqu’ils sentaient leur fin proche, d’aller s’isoler au loin, dans les bois. Ainsi, Moowis, désirant mourir en paix, partit un matin, dès l’aube et traversa le lac Obedjiwan pour s’installer paisiblement sur l’autre rive.

Le soir venu, alors qu’il était sur le point de glisser dans son éternel sommeil, son oreille de chasseur fut alertée par un bruit familier. Ouvrant les yeux, il vint une meute de loups affamés qui attendaient que son feu se consume pour l’attaquer et le dévorer. Incapable d’accepter que ces bêtes féroces s’attaquent à son corps avant que son esprit ne l’eût quitté, il invoqua la puissance de Kimucumina, le vent du nord.

Redonne-moi ma vigueur de vingt ans et tu feras de mois ce que tu voudras ! lança le géant.

Bien, répondit le dieu du vent. Tourne la pointe de ton canot vers le soleil de midi et pagaie à travers les terres qui s’ouvriront pour te laisser passer. Lorsque tu atteindras la fleuve aux grandes eaux, alors tu mourras.

Le Mestabeok fut immédiatement habité d’une force nouvelle. Avec sa rame seulement, il réussit à tuer deux loups et à faire fuir le reste de la meute. Comme le lui avait ordonné le vent du nord, il monta dans son canot et avironna vers le sud. Les eaux du grand lac se déversant dans son sillon, il glissa sur la terre de val en vallon et de vallée en plaine, contournant les montagnes et les escarpements. La terre s’ouvrait devant lui en créant des gorges et des ravins, l’indispensable lit de la nouvelle rivière.

Pendant deux lunes, Moowis voyage ainsi. Voulant prolonger sa vie, il zigzagua un peu à la vue du fleuve aux grandes eaux que les Blancs appelleraient plus tard le Saint-Laurent. Son canot chavira et disparut lorsqu’il toucha son but. Puis, son embarcation et son aviron remontèrent à la surface et formèrent deux îles qui divisèrent le large courant d’eau en trois rivières.

Un autre Mesbeok célèbre se fit connaître des premiers colonisateurs de la Mauricie, particulièrement ceux de Shawinigan sous le nom du «géant Tranche-Montagnes» . Cet homme gigantesque pouvait, en une seule nuit, déraciner une forêt pour la transformer aux premières lueurs du jour en un champ de blé. On le disait aussi capable d’ébrancher un arbre d’un unique coup de hache, de chasser d’un souffle tous les moustiques d’une vallée ou encore de trancher une montagne en deux avec son énorme godendart.

Depuis Tranche-Montagnes, plus aucun Mestabeok n’a été vu dans les grandes forêts de cette région.

Le rocher de Grand-Mère
Version 1

Dans la ville de Grand-Mère, on raconte l’étrange histoire d’une jeune fille amérindienne de la nation des Têtes-de-Boules, dont l’amant serait parti avec d’autres guerriers pour aller se battre contre les Iroquois. Lui promettant de l’épouser dès son retour, le brave ne revint jamais. Malgré son désir brûlant de revoir celle qu’il aimait, le malheureux mourut, scalpé par ses ennemis.

Alors même que le drame se déroulait dans une lointaine forêt, la belle Amérindienne installa son campement sur une île de la rivière Saint-Maurice, au sommet d’une haute chute. L’endroit était idéal pour guetter le retour de son fiancé. Or les jours passèrent, puis les semaines, et enfin les années. Jamais l’amoureuse ne revit celui qui détenait les clés de son cœur et malgré la rigueur du climat, sa profonde solitude et les remontrances du chef qui lui ordonna mille fois de réintégrer la tribu, elle s’entêta à demeurer sur son île, convaincue de revoir un jour l’homme qu’elle aimait. Mais elle resta seule, et au fil des saisons elle devint une vieille femme silencieuse. À sa mort, on dit que sa figure s’imprégnât dans une gigantesque pierre qui encore aujourd’hui trône fièrement au centre de Grand-Mère.

Par les soirs de grands vents, on dit qu’il est possible d’entendre la vieille Amérindienne de pierre, symbole de fidélité et de loyauté, fredonner sa tristesse.

Version 2

Longtemps avant la venue de l’homme blanc vivait dans cette région une tribu amérindienne. La fille du chef tomba amoureuse d’un intrépide guerrier. Le père consentit à donner sa fille en mariage, à condition que le prétendant apporte une grande quantité de peaux de première qualité, en preuve d’amour, d’habileté et de bravoure.

Les deux amoureux se séparèrent. Les mains jointes au-dessus d’un grand rocher qui surplombait la rivière, ils se jurèrent fidélité éternelle. Plusieurs années s’écoulèrent sans que revienne l’amoureux et sans que la patiente fidélité de la belle s’effondre.

L’âge et la vieillesse ayant affaibli sa vue, elle adressa au Grand Esprit une supplique l’implorant d’avertir son amant de sa fidélité, lorsqu’elle rendrait l’âme.

On attribue à cette légende deux dénouements.

Le premier veut que, au moment même où l’âme de la jeune amérindienne monta aux cieux, il se produisit un éclair fulgurant ainsi qu’un bruit assourdissant. Le roc se fendit, laissant apparaître le visage d’une vieille femme tourné vers le nord et scrutant l’horizon pour voir apparaître son amoureux.

Le second épilogue voudrait que la fiancée fût changée en roc en symbole de sa fidélité.

La légende du Trou du Diable

« À la découverte de la Nouvelle-France, l’on pensait avoir trouvé un continent vierge, un paradis terrestre, un endroit où le Malin n’avait pas encore oeuvré.

Rapidement, l’on fit la rencontre d’indigènes qui, depuis fort longtemps, arpentaient le territoire. Et l’on réalisa rapidement qu’ils n’adoraient pas les mêmes figures que celles représentées dans notre sainte Église. Tout de suite, on pensa à ce cher personnage rouge, à la queue fourchue, cornes au front, et à la possibilité qu’il s’installa ici pour y régner en maître. Dès lors, des hordes de Robes Noires foulèrent le sol de la Nouvelle-France, décidées et acharnées, munies d’une imagination et d’une persévérance sans bornes, agissant en un seul et unique but : remettre les enfants de cette terre sur le chemin de Dieu.

Le pauvre Diable, de son côté, qui n’avait su, jusqu’à ce jour, que faire sur ce continent ignorant le bien et de mal, ne s’était attardé de ces mauvaises farces et avait plutôt laissé ces braves gens tranquilles.

Ici, il avait plutôt cherché refuge, profitant de cet endroit où il pouvait prendre des vacances, se disant que l’être le plus pourchassé de ce monde méritait un endroit si idéal. Et c’est ainsi que le Diable avait trouvé demeure dans une caverne sans fond, au pied d’une chute, abrité qu’il fut dès lors par un immense et éternel remous. En cet endroit, il avait trouvé tant la tranquillité, la détente, que l’occasion de s’enivrer et de festoyer sans être dérangé.

Parfois même, il se permettait le loisir de tourmenter quelques pauvres âmes égarées qui avaient eu la malchance de tomber dans la chute. Le seul inconvénient à cet enfer paradisiaque était pour lui l’approvisionnement en bonne chair et en boisson. Lui qui aimait tant la bonne cervoise devait, chaque fois qu’il allait taquiner les Européens, se ramener quelques chopines. Mais le Diable est rusé et parfois chanceux. C’est ainsi qu’il avait vite pris connaissance de la présence des Robes Noires en son Eden privé.

Comble de chance, en l’an de grâce 1634, le Père Jacques Buteux, de la compagnie des Jésuites, accoste à Québec en tant que premier évangéliste missionnaire et est envoyé à Trois-Rivières. Jacques Buteux voyage beaucoup et apprend à connaître les diverses tribus amérindiennes ainsi que leurs mœurs et coutumes. Malgré une allure frêle et délicate, il est animé d’une foi en Dieu et d’un désir de la partager qui le pousse bientôt plus loin dans les terres, au moment même où le Diable eut cette réflexion : « Subir une fois de plus l’assaut de mes persécuteurs en mon refuge, autant même en tirer profit ».

Le 4 avril 1652, Jacques Buteux part pour la Mattawin. C’est à son retour vers Trois-Rivières, le 10 mai suivant, qu’il remonte la St-Maurice, accompagné de Montagnais afin de se rendre à un endroit que les autochtones appelaient Achawenekane, Ochawenegane ou encore Assawenegane. C’est à ce même endroit qu’ils furent tous pris en chasse par une bande d’Iroquois, puis interceptés. Les Montagnais furent tués sur le champ. Quant au pauvre Buteux, qui avait été atteint au bras droit et à la poitrine, il fut torturé et massacré, les tomahawks avec lesquels on le frappa complétant le sacrifice. Les Iroquois traînèrent sa dépouille en un endroit qu’ils considéraient damné, qu’ils savaient aussi habité par de mauvais esprits. Cet endroit, ils le nommaient « le trou des mauvais manitous ». Plus tard, l’endroit prit le nom de « trou du diable ». On raconte qu’il avait la caractéristique d’emprisonner à jamais ce qui y tombait. Les Iroquois y jetèrent la dépouille du Père Buteux. Le Diable y accueillit la pauvre âme avec un sourire, enchanté de ce qui venait de se produire et tout autant satisfait… »